Photon

Romain Lamberet, Poésies photongraphiques
Préface de Bertrand Naivin
La lumière, Romain Lamberet a coutume de la voir comme l'évocation d'une humanité primitive. Son travail de designer consiste alors à créer des œuvres minérales et végétales où l'éclat des ampoules qu'elles contiennent, filtrent et sculptent, est comme cette vie qui dut péniblement survivre aux épreuves du Temps.
Dans son travail de photographe, l'artiste l'envisage autrement. Si il la forme, déforme et reforme avec ses luminaires, l'appareil photographique lui permet cette fois de la dématérialiser pour en faire un corps et une substance graphiques. Dansent alors sur un fond uniformément noir des abstractions jaunes et blanches où explosent la puissance de cette lumière que s'employaient à contenir ses lampes. Un même souci de libérer la lumière de sa seule fonction domestique pour en interroger la matérialité et la plasticité dans ces images étranges où il explore « la force évocatrice du dialogue des ombres et lumières ».
On peut alors y voir ici une iris, là un serpent glissant dans un crochet, ailleurs un cœur comme vu à travers les fibres d'un muscle, ailleurs encore des vers luminescents. Réalisées à l'aide d’objectifs hyper macro, ces photographies prises avec un appareil photo numérique révèlent ainsi ce que l’œil seul ne peut pas voir et font de l'invu de ces ampoules grossies à l'extrême la matrice de formes aux pouvoirs infiniment évocateurs et hypnotiques.
Il allie ainsi technologie et poésie en rendant visible ce qui échappe à la vision naturelle, tout en conservant à ces clichés une indistinction envoûtante. Un parti-pris qui questionne ces deux fonctions qu'eut depuis sa création à la fin du XIXe siècle la photographie, pratique scientifique et artistique à la fois.
On peut alors penser à Etienne Jules Marey qui enrichit ses chronophotographies d'une dimension esthétique à la limite de l'abstraction. Sur des fonds là aussi noirs, des corps ou des segments blancs y forment un balai graphique à la fois visuel et musical d'une étonnante modernité. On peut également songer aux artistes allemands de la Nouvelle Objectivité qui utilisèrent eux aussi le gros plan, voire le très gros plan pour dévoiler la beauté insoupçonnée d'objets du quotidien ou de la nature, comme aux photogrammes de Laszlo Moholy-Nagy, compositions étonnantes réalisées en éclairant des objets placés sur du papier sensible. S'y dévoilait alors la puissance poétique de la lumière qui est au cœur du travail photographique de Romain Lamberet.
Une pratique que nous pourrions qualifier de photongraphique, du nom que l'artiste a donné à cette série et qui renvoie aux photons, ces particules élémentaires dont est constituée la lumière. Un titre qui dit beaucoup de sa démarche. Ces images sont en effet autant de tentatives d'entrer au cœur de cette lumière qu'il façonne en tant que designer, et explore en la révélant dans ses photographies. C'est donc un retournement auquel procède l'artiste qui travaille ici la lumière de l'intérieur, et non plus de l'extérieur. Une nouvelle relation qui instaure pour lui un lâcher prise, là aussi bien particulier. Lui qui dans ses lampes doit travailler et contrôler chaque détail, façonner même ce qui paraît brut, se fait ici l'entremetteur discret et fasciné d'une réalité qu'il nous invite à découvrir et devant laquelle nous sommes appelés à nous émerveiller.
Si le designer crée des écrins à cette lumière pour révéler sa charge symbolique, l'artiste la laisse quant à lui s'exprimer sur le capteur de l'appareil pour s'y transfigurer.
Elle nous apparaît alors tour à tour chaude et froide dans ses variations de jaune, d'orange et de blanc. Elle révèle également dans ces clichés une matérialité insoupçonnée, présentant une texture parfois diaphane, d'autres fois onctueuse, quand elle ne paraît pas revêtue d'une fourrure incandescente. Une lumière qui se fait vive ici, indolente là, comme parcourue d'une énergie propre.
Ce sont donc de fascinants mondes intérieurs que nous donne à contempler Romain Lamberet. Ceux d'une lumière qui se fait cosmique mais aussi charnelle, spectrale et presque organique.
Des images à la poésie solaire qui nous racontent les premières heures de l'Humanité, celles au cours desquelles de l'obscurité jaillit la Lumière, créatrice de vies.
 
Bertrand Naivin